Un foyer culturel et son histoire,
Une architecture et sa déchirure.
Cette présentation ne se veut, en aucun cas, être une évocation nostalgique qui s’attarde sur les aspects dégradés d’une cité martyre qui mérite encore une grande admiration.
« Elle est unique. Elle n’a pas sa pareille. Aucune autre n’a à la fois cette orientation, cette position, ce climat, cette précise architecture.» André Ravereau, La Casbah d’Alger, et le site créa la ville. Ed. Sindbad. Paris
Son originalité, sa renommée ainsi que la splendeur de son architecture n’est plus à démontrer. En effet, le site historique d’El Djazair, appelé Casbah plus tard est l’un des plus prestigieux ensembles urbains, noyau de l’identité algérienne, qui exprime une quadruple dimension historique, artistique, culturelle et politique. Après les grandes étapes chronologiques bien connues, à savoir le comptoir phénicien (Ikosim), la ville romaine (Icosium), ce n’est qu’au Xème siècle que l’image de la Casbah se précise avec sa refondation par Bologhine Ibn Ziri puis l’occupation ottomane au XVIème siècle. La main-mise sur la ville en 1830 d’un pouvoir colonial, à la culture différente, marque une période de grandes modifications et transformations qui impliquèrent des destructions massives surtout au niveau de la basse Casbah.
« Elle est très grande, dit il, et fait dans les 4000 feux. Ses murailles sont splendides et extrêmement fortes, construites en grosses pierres. Elle possède de belles maisons et des marchés bien ordonnés dans lesquels chaque profession a son emplacement particulier. On y trouve aussi bon nombre d’hôtelleries et d’étuves (hammam). Entre autres édifices, on y remarque un superbe temple (El-djami’ El-Kebir) très grand, placé sur le bord de la mer, et devant ce temple une très belle esplanade aménagée sur la muraille même de la ville, au pied de laquelle viennent frapper les vagues. On voit autour d’Alger de nombreux jardins et des terrains plantés d’arbres fruitiers…Les plaines de la région sont très belles, surtout une que l’on appelle Mettigia qui a une longueur de 36milles et où pousse un blé extrêmement abondant et de première qualité » Hassen El-Wazzane dit Léon l’Africain (qui avait visité Alger entre 1510 et 1517 ): Description de l’Afrique, traduit de l’italien par A.Epaulard, Paris, 1981, J.Maisonneuve éd.,2vol.
Les réalisations et empreintes des différentes périodes font de la Casbah le produit d’une architecture et d’un urbanisme mixte. Lorsque l’on évoque cette cité aujourd’hui on distingue trois secteurs :
La haute Casbah El-Djebel : Premier noyau de la ville berbère, qui compte le plus grand nombre de maisons dont la construction est antérieure au Xème siècle. Munie d’une citadelle au sommet, elle est placée sur le flanc d’un mont à la pente régulière et à la forme d’un triangle.
La basse Casbah El’Wtta : proche de la mer, c’est la partie qui a subi la table rase, donc les plus grandes transformations. C’est là qu’on trouve encore aujourd’hui, le plus grand nombre de palais et les immeubles réalisée après 1830, qui forment la façade maritime d’Alger.
Le quartier du port : ou l’on retrouve Djamma El Kebir, Djamma Djedid , le Bastion 23 (Quaa Es-sour), seuls témoins des anciennes limites de la ville.
Bien que classé, patrimoine national et universel depuis 1992, elle reste une cité injustement négligée. «je me demande, en parlant de la Casbah d’Alger, si on n’est pas en train, de disserter sur un cadavre» Tahari Boulefâa el-Habib.
Elle se définit aujourd’hui comme un ensemble de bâtisses qui menacent ruine et comme un espace marginalisé, au double plan de son contenu social et des fonctions économiques versées dans l’informel. Les habitants actuels souvent venus dans la période post-indépendance cherchent plutôt à la fuir.
Pour stopper cette dégradation tragique, et après plusieurs mesures et instruments développés dans l’optique de sauver ce site, un plan permanent de sauvegarde et de mise en valeur de la Casbah a été approuvé récemment (décret exécutif du 21/03/2012). Après moult études menées de concert par architectes, archéologues, historiens, sociologues, … , il s’agit maintenant de passer à l’action, cette dernière étant confiée à l’Agence Nationale des secteurs sauvegardés récemment créée à cette fin.
Cependant, une question se pose : La remise à niveau de la vieille ville avec ses travaux d’infrastructure (réfection des amenées d’eau et des égouts, canalisation des eaux de pluie, reprise du système de distribution de l’électricité, …) et avec la réhabilitation de ses maisons (400 bâtisses identifiées), Est-ce suffisant ?
Certainement non, car, pour sauver la Casbah, comme le souligne d’ailleurs les études de sauvegarde, il faut aussi :
- prendre en charge son patrimoine immatériel, fondement de sa structure et de son architecture : classement et réappropriation des pratiques sociales du passé, car « si les maisons vernaculaires -c’est-à-dire algéroises-, encore en bon état, permettent à l’architecte de s’inspirer des formes et des volumes pour recomposer les espaces vides », les rapports qu’entretient l’homme avec son milieu restent à restaurer pour restituer « la dimension cachée de la Casbah » DjaffarLesbet. Ceci n’excluant pas une certaine mise aux normes de confort d’aujourd’hui.
- sortir la vieille ville de son exclusion actuelle au triple plan social, économique et culturel et l’insérer dans la vie active d’Alger, une capitale en plein développement.
Le projet « Darna » n’est qu’une des initiatives, un devoir des hommes, allant dans le sens de l’histoire et de la sauvegarde de la mémoire du lieu.