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Djaffar LESBET
Architecte-DPLG-Sociologue

09 juillet 2006 … mais à ce jour pas suivi d’effet

RELANCE
EFFECTIVE ET EFFICACE
SAUVEGARDE
DE LA CASBAH D’ALGER

PROPOS LIMINAIRES

Notre contribution traite des questions d’actualité, elle néglige volontairement la dimension historique et les qualités architecturales du site, maintes fois relatées dans divers ouvrages et articles. En évoquant la Casbah, il est d’usage de faire une large place à l’histoire au point que cela introduit une contradiction entre l’intérêt unanimement accordé au passé et le laissé-aller collectif de la situation présente. Le problème ainsi posé, débouche sur La question qui serait:
Que faire pour extraire la Casbah du processus de dégradation continue dont elle est victime depuis l’indépendance ?

LA CASBAH POURQUOI ?

C’est l’une des villes les plus anciennes et des plus merveilleuses d’Algérie. Elle est classée sur la liste du patrimoine national et universel depuis 1992. Son emplacement féerique a été successivement occupé par un comptoir phénicien, puis les Romains s’y installent, implantent les premiers remparts, tracent le grand cardo (circulation Est-Ouest, actuelles rues Bab-Azoune et Bab-El-Oued) et le décumanus (rue de la Marine). Au Xème siécle les Hafçid fondent le premier noyau d’El-Djazaïr, les Turcs chassent les Espagnols, rattachent les îles à la ville, créent le port. A leur suite les Français réadaptent la ville aux nouvelles règles de l’urbanisme moderne, introduisent les voies carrossables sur l’emplacement des maisons, palais et mosquées.
Lors de son classement le secteur sauvegardé de la Casbah s’étend sur 70,78 ha., occupés par 1523 bâtisses, dont 982 maisons algéroises .

“La Casbah d’Alger a été l’objet, depuis 30 ans, d’un grand nombre d’études et de projets dont aucun n’a vu le jour”. Les rapports se limitent souvent à un constat de la situation à un moment donné. La lecture des rapports amène à s’interroger, pourquoi :
- Les études s’accumulent,
- Les projets restent inachevés,
- Les entreprises sont démotivées,
- Les expériences ne sont pas capitalisées,
- Les archives sont dilapidées,
- Les instructions des plus hautes instances ne sont pas suivies d’effet,
- Les dysfonctionnements persistent ?

Tant que l’on n’aura pas clairement fixé la destinée de la Casbah, au-delà du simple vœu (souvent pieux) régulièrement réitéré comme une prière sépulcrale, le questionnement restera sans réponse et la dégradation continuera.

Il est illusoire de vouloir sauvegarder une ville, fut-elle classée et surtout “cassée”, si on méconnaît la destination finale, basée sur des phases de mise en œuvre d’un programme d’accompagnement détaillé à court, moyen et long terme . Faute d’instructions officielles précises (connues), nous avons envisagé trois scénarii à partir des hypothèses (officieusement) répandues.

LA CASBAH POUR QUI ?

Cela fait plus d’une décennie que la Casbah a été reconnue par la communauté nationale, puis internationale, en tant que patrimoine digne de figurer sur la liste du patrimoine universel; Et cela n’a pas suffi à donner une réponse simple et précise à la question : “ Que veut-on faire de la Casbah”?
Cet objectif pourtant fondamental est constamment éludé par les différentes autorités de tutelle (Ministère de la culture, de l’habitat et de l’intérieur). Or, formulé avec la précision voulue, on peut déterminer le devenir de ce premier noyau de la capitale du pays. Cette orientation clarifie, renforce la résolution des pouvoirs publics (politiques) et unifie les actions des institutions responsables chargées du patrimoine. Sur cette base elles conjugueront leurs efforts et mobiliseront tous leurs moyens disponibles, aussi bien locaux qu’étrangers, pour atteindre un objectif commun. A défaut chaque changement à un niveau décisionnel risque de se traduire par une remise en cause, justifiée ou capricieuse, de la démarche mise en œuvre par le prédécesseur .

En l’absence d’une finalité clairement définie et acceptée par toutes les instances, nous sommes réduits à reprendre les trois hypothèses périodiquement alléguées:

1- Sauvegarder la Casbah en maintenant sur place la population résidente actuellement.
2 – Faire de la Casbah un centre touristique.
3- Restaurer la Casbah pour accueillir une population nouvelle (profil à déterminer dans le cadre d’une commission ad hoc) .

Chaque hypothèse entraîne une série d’implications préalable que nous tentons d’évoquer:

LA CASBAH: PERSPECTIVES ET IMPLICATIONS

I) La première hypothèse peut être retenue, si l’on souhaite voir disparaître (dans les prochaines décennies) à moyen terme ce qui reste de la Casbah, car on peut affirmer sans risque d’erreur, que la population résidente actuellement est dans sa majorité en attente d’un relogement et que cette finalité est conditionnée par la démolition accidentelle et/ou volontaire des maisons. Les effondrements transforment les propriétaires, les locataires et/ou les squatters en “sinistrés”, leur offre la possibilité d’être relogés et accordent, en plus, aux héritiers le bénéfice de diverses aides publiques (confortement, démolition puis enlèvement des gravois d’un bien privé) sans bourse déliée, tout en reconduisant les privilèges, à tour de rôle, aux autres descendants et ayant-droits ainsi que l’opportunité de bénéficier d’un appartement à chaque programme de “dé-densification”. Au bout du compte, la famille reste toujours propriétaire de la parcelle et à ce titre bénéficie en permanence de toutes formes d’aides publiques. La permanence de ce système, sur plusieurs décennies, s’avère désastreuse pour le patrimoine.

L’obstination manifeste à reconduire ces pratiques ne s’explique que par la collusion avérée entre bénéficiaires et organismes d’attribution des logements (gratuits). La finalité de cette opération “dite” sociale est la revente d’une partie des biens de l’état sur le marché libre par le biais du système de désistement. Près d’un logement social sur trois est détourné et finit sur le marché “libre”. Ce système de redistribution donne satisfaction à l’ensemble des parties prenantes (propriétaires, locataires, squatters et gestionnaires), sauf à ceux qui militent effectivement pour la sauvegarde de la Casbah. Après chaque programme d’attribution, on assiste à une recrudescence des démolitions et effondrements de maisons (accidentels et/ou volontaires). On a déjà attribué plus de dix mille logements pour reloger les “sinistrés”, dé-densifier les maisons et engager les travaux de réhabilitation. En vain. Ce système (spéculatif) a plus que largement fait preuve de sa flagrante inefficacité dans tous les domaines. Seuls ceux qui en tirent un profit direct et/ou indirect militent pour son maintien.

Par conséquent, cette hypothèse ne peut être retenue, elle est incompatible avec une réelle volonté de sauvegarde de la Casbah.

II) La seconde hypothèse serait de faire de la Casbah un centre touristique. On peut difficilement imaginer une ville peuplée d’artisans, (corporation déjà en voie d’extinction), avec des rues sillonnées, par une horde plus qu’hypothétique, de touristes (tous-risques) errant dans une cité fantôme.
L’existence de l’artisanat et ce dans tous les pays ayant cette vocation, est d’abord conditionnée par la consommation locale des produits, le touriste ne représentant qu’un apport (le Maroc, l’Espagne et l’Egypte illustrent ce fait). Le véritable ouvrage artisanal est acquis par les autochtones, le touriste achète la contre-façon. En Algérie les seuls artisans “ressuscités” subissent la même métamorphose, passant du statut d’artisan, à celui d’“artiste” dont la production réservée à l’“élite” fortunée, alimente le marché d’objets symboliques et du décor exotiques. Cette fonction économique n’est pas viable ni à court, ni à moyen terme, elle implique un budget de fonctionnement important et à fond perdu; or l’économie (rentabilité) est aussi importante pour la vie de la cité que l’oxygène pour les humains.

III) La troisième hypothèse nécessite diverses mesures au préalable et s’inspire des textes d’application de la loi 98-04 du 15 juin 1998.
a) Stopper définitivement l’hémorragie de la Casbah. Substituer au système d’intervention en vigueur un programme d’auto-construction-formation sur le tas . Cela met également fin à l’inacceptable discrimination en cours; qui consiste à se préoccuper que des gens vivant dans l’insalubrité à la Casbah tout en ignorant les autres, ceux qui vivent dans des conditions encore plus dramatiques (caves, bidonvilles, logements de fortune sur les terrasses, ou carrément dans les rues, etc,) .
Il faut une fois pour toute mettre définitivement un terme à la prise en otage de notre patrimoine, contre l’attribution (paiement) d’une rançon-logement.

b) Mise en demeure pour l’ensemble des propriétaires des parcelles résultant des démolitions , qui dans un délai d’un an doivent présenter un projet de reconstruction de leur maison, respectant le cahier des charges, observant l’ensemble des dispositions contenues dans le plan de sauvegarde de la Casbah. (cf. dispositions contenues dans la loi 98 – 04)
Sachant que le respect de ces obligations influe directement sur les coûts de réalisation, il ouvre droit aux aides de l’état (à estimer) avantageuses et spécifiques aux secteurs sauvegardés. Pour une efficacité effective, droits et devoirs des propriétaires doivent être respectés, et ce en application des articles 46 et 47 de la loi 98-04.

c) A défaut de projet de reconstruction pour des raisons privées, le propriétaire, les ayant-droits ou leur représentant, acceptent par là même de se dessaisir, à l’amiable, de leur parcelle au profit de l’organisme (à créer) chargé de l’application du plan de sauvegarde de la Casbah, et sans autre forme de procès tout en conservant les avantages acquis antérieurement.

d) A ceux qui font prévaloir leur droit à une indemnité (qui reste à évaluer), celle-ci leur sera accordée, déduction faite des aides et frais engagés par l’état sous toutes les formes à leur place et à leur profit (confortement, étaiement, démolition, attribution de logement(s), enlèvement et mise en décharge des gravois, etc.,). Par cette revendication, les propriétaires et tout ayant droits, acceptent, par là-même, soit de se partager la différence, soit de prendre le risque de rembourser solidairement les dépenses supplémentaires.

Le climat de confiance résultant de cet ensemble d’actions sur les différents sites facilite l’engagement d’un nouveau processus de restructuration des organismes et mécanismes d’interventions; mise en place d’une nouvelle politique de reconstruction des parcelles libérées avec concours d’architectes. Aujourd’hui l’absence de projet défini, fait de la Casbah un exemple unique au monde. En effet, c’est le seul espace urbain où le foncier au centre ville (d’une capitale) ne fait l’objet d’aucune transaction sur le marché foncier !!!.

Après trente années “d’expériences” la nécessité d’inverser le processus en cours, en inaugurant la phase “retour (possible ) à la Casbah” , en fonction de la loi du marché, de la situation centrale du lieu et de sa dimension symbolique, est devenue incontournable. La Casbah ne doit plus être vécue comme un “bateau qui coule” que les passagers cherchent à quitter, mais comme un espace où à nouveau il fait bon vivre et où on désire s’enraciner.

La mise en œuvre de cette troisième hypothèse, implique:

1) une clarté effective, l’émergence de l’état de droit. C’est à cette condition qu’une réoccupation-recomposition, la reconstruction des parcelles vides et par conséquent la sauvegarde de ce qui reste de la Casbah peut être réalisé sans financement public, la mise à disposition et l’exploitation des parcelles libres suffisent amplement.
2) la prise en considération des nombreuses études déjà réalisées, l’analyse, le bilan et l’état de vétusté du patrimoine en 2006.
3) une série de mesures à mettre en oeuvre en urgence absolue:

a) Rassemblement, inventaire et analyse du contenu de la documentation existante; cartes, plans, études, recommandations adoptées lors des divers colloques nationaux et internationaux, rapports des experts et des bureaux d’études italien, allemand, polonais, turc, français, etc., …

b) Dissection des programmes en cours pour mettre en évidence les insuffisances et remédier définitivement et irrévocablement aux dysfonctionnements persistants.

c) Identification des sources de blocages et des insuffisances à l’origine de l’inachèvement des projets. Par exemple: Ilot Lallahoum, opération 58 bâtisses, Ilot mer Rouge et tout dernièrement l’Ilot Sidi Ramdam, etc., afin de connaître les raisons et distinguer les causes d’origine administrative, technique, financière, juridique, etc.,… Le flou savamment entretenu innocente la gabegie, légitime les hypothèses hasardeuses et justifie les retards inadmissibles.

d) S’interroger sur les motifs de blocages de la restauration du Palais du Dey en cours depuis trois décennies, alors que les études ont été réalisées, les squatters relogés, le chantier est accessible aux engins sans difficulté, et pourtant l’édifice ne cesse de se détériorer! (cf. photos en annexe ).Or dans l’intervalle le Palais des Raïs (Bastion XXIII), d’abord voué à la démolition, a été réhabilité en trois ans! (cf. photos en annexe). Alors, qu’à proximité immédiate, l’achèvement du Centre National de Musique est en souffrance depuis plus de vingt ans. Ces cas d’école révèlent à l’évidence que c’est la décision politique, plus que les financements ou l’habileté des techniciens, qui a fait la différence entre l’avancement de ces trois exemples.

e) Toute démolition future d’une maison jugée effectivement irrécupérable par expertise, ne peut être entamée avant la remise d’un dossier des relevés architecturaux, photographie complète des détails et des principaux éléments (céramiques, tomettes, sculptures, colonnes, boiserie, etc.,..), suivi d’un recensement exhaustif des matériaux d’origine pouvant être récupérés pour être réutilisés ou pour servir de modèle pour une reconstitution. Ce marché potentiel participe à la formation et à la relance des métiers (artisans) aujourd’hui menacés de disparaître faute de débouché.

f) Le terme démolition doit être banni du langage des bureaux d’études et remplacé par celui de démontage de maison classée. La rétribution sera désormais calculée, non plus par rapport de la quantité de m 3 de gravois à évacuer, mais désormais en fonction de la quantité de matériaux d’origine soigneusement récupérés .

g) Le démarrage d’un chantier doit se faire sur la base d’un cahier des charges accompagné d’un descriptif détaillé et surtout des plans d’exécution suivant les règles de l’art et ainsi mettre fin aux improvisations sur site. C’est là une obligation pourtant contenue dans les textes, mais rarement respectée. La réhabilitation de l’école Charlemagne, à Zoudj-Aïoune, est à l’arrêt à défaut de plans d’exécution, ce chantier devant durer six mois entame sa 3ème année .

h) Destruction des constructions hideuses, immeubles et “villas”, réalisés au cœur de la Casbah, en violation flagrante des restrictions et interdictions contenues dans le cahier des charges d’un site classé sur la liste du patrimoine mondial. Ces dispositions reflètent l’engagement de l’Etat Algérien à sauvegarder la part de l’héritage universel dont il a la charge. La présence sur le site de ces contre-exemples ôte toute crédibilité au programme de sauvegarde de la Casbah.

i) Désormais les permis de construire, à l’intérieur du périmètre sauvegardé, ne peuvent être délivrés sans l’approbation de la commission chargée de la surveillance des programmes, dont elle assure le suivi et autorise le déblocage des aides et exerce son droit de préemption sue les transactions foncières et/ou immobilières, (ce conformément à la loi 98-04).

j) À l’avenir, les nouvelles dispositions concernant le devenir de la Casbah cesseront d’être confidentielles, toute personne répondant aux critères définis (dans la transparence) pourra prétendre à loger à la Casbah. L’accès à une maison de la Casbah résulte des orientations et critères définis par les différentes autorités de tutelle.

k) Constituer des fiches de chantier par thème répertoriant les difficultés rencontrées lors des mises en oeuvre. Etablir un mémoire exhaustif des obstacles à l’origine des retards , afin de prévenir les difficultés, soulager les intervenants, maîtriser les délais d’exécution, réduire les réévaluations systématiques, éliminer les entreprises et les bureaux d’études peu performants, mieux préparer les chantiers futurs.

Aussi cette proposition est loin d’être exhaustive, elle doit être discutée, critiquée, complétée dans le cadre d’un groupe de travail motivé.

CONCLUSION

La sauvegarde de la Casbah ne dépend pas de la détermination des techniciens, ni d’un manque de financement, encore moins d’une démarche fut-elle innovante et révolutionnaire, mais d’une volonté politique clairement affirmée et surtout suivie. L’achèvement d’un programme de sauvegarde s’étale sur plusieurs décennies, la durée d’une autorité à son poste, quelque soit son rang, sa discrétion ou ses mérites se mesure en années, voire en mois.
L’aboutissement d’une proposition résulte de l’environnement politique, d’où la nécessité d’avoir un cadre bien défini, un objectif consensuel bien délimité, précis et approuvé par toutes les parties prenantes; ainsi, quelque soit les changements de responsables, qui ne manqueront pas d’intervenir entre temps, n’auront aucune influence sur la continuité des programmes adoptés.

Pour soulager la Casbah des maux qui la ronge, il ne peut y avoir de place pour les charlatans et encore moins pour les détenteurs d’un savoir approximatif. Le plus difficile n’est pas la mise-en-œuvre d’une nouvelle démarche, la création d’une nouvelle structure; mais de rendre caduc les habitudes acquises depuis si longtemps.

Djaffar LESBET

Bastion XXIII en 1980 … …Et en 2000 … Hier en ruine, voué à la démolition, aujourd’hui centre des arts et de la culture

Le Palais du Dey (en 1975) … Hier squatté… …Aujourd’hui (2005) en ruine…

Le Bastion XXIII a été réhabilité, dans le cadre d’une coopération Algéro-Italienne, conforté par une volonté politique clairement affirmée.
Le Palais du Dey continue à se dégrader en attendant ? Les études existent, manque la volonté de les faire aboutir.
Ces deux exemples, entres autres, illustrent l’efficacité de la détermination d’une politique de sauvegarde totalement soutenue.